Sport, EPS, et APS en milieu scolaire – Quelle(s) distinction(s)
Il n’est pas rare d’entendre deux élèves s’entretenir ainsi à propos de leur séance de … sport ou
d’EPS :
« Tu vas où ?
- en sport !
- Ah oui. Et tu fais quoi ?
- d’la course…Et toi,
- J’vais faire du basket.
- Oh t’as du bol…C’est qui ton « prof » ? »
Pour s’associer à la problématique proposée et à l’analyse sémantique souhaitée, l’objet de cet essai
s’articule autour de la définition des termes « Ecole » et « Sport ». Cet échange verbal spontané
montre que ces élèves considèrent la séance « de sport ou d’EPS » comme un temps de sport : Je
vais « en sport faire du sport avec le prof, le moniteur ou l’éducateur» Et d’ailleurs pourquoi pas ?
Seulement, ils font de l’Education Physique et Sportive (EPS).
Cette confusion est tellement courante qu’aujourd’hui personne n’y prête plus guère attention. Mais
chaque terme, que ce soit Activités Physiques et Sportives (APS) ou Education Physique (EP), a
une définition particulière et singulière que nous devons distinguer.
Nous assistons en EP depuis la seconde moitié du siècle dernier à la mise en place, pour l’élève,
d’un processus d’individuation, au sens de réalisation personnelle, résultat d’une pédagogie qui a
beaucoup fluctué depuis une méthode prônant la conformité à un modèle, en passant par une
pédagogie basée sur les principes du structuralisme pour se diriger vers une éducation respectant les
spécificités de chaque individu. L’évolution des conjonctures sociétales influence fortement les
pratiques sportives ainsi que l’EP. Du souci hygiénique et sanitaire présent lors de la reconstruction
de la France dans les années 1945, en passant par le prosélytisme sportif (1960) pour arriver à la
construction d’un individu cultivé, lucide et autonome, les finalités de l’EP et celles des pratiques
sportives n’ont cessé de s’adapter, de se modeler aux conditions et aux événements économiques,
politiques, culturels et sociaux de notre société.
Depuis les années 70, les activités sportives apparaissent comme l'ultime bouée de sauvetage devant
permettre une "remobilisation" de la jeunesse autour d'une discipline de vie et la favorisation de
l'insertion sociale1
. Le recours au sport se présente comme une réaction réflexe aux problèmes de
notre société (éducation, incivilité, violence, exclusion, insertion, etc.), une véritable « aspirine
sociale ». Le sport rassemble l’ensemble des APS. Terme devenu générique, le sport s’entoure de
vertus éducatives, professionnelles, hygiéniques et sanitaires, d’intérêt général ou économique,
politiques, de compétition, d’insertion.
Mais de quoi parle-t-on exactement ? De Sport, d’EP, d’APS ?
Nous sommes convaincus que le sport doit participer au développement de la personne, de son
identité et à l’enrichissement du lien social. En effet, d’une part, il doit viser à sculpter et travailler
le corps (corps redressé, mesuré, modelé, percé, corps santé, corps plaisir, corps éduqué)2
, d’autre
part, il doit révéler la personnalité de l'individu et fonder la cohésion sociale par l'appartenance à un
groupe (supporters, joueurs, territoires, clubs, bénévoles, etc.…).
Seulement le sport n'est qu'un support, un outil qui peut tout aussi bien asservir l'individu que lui
1
Le sport est un phénomène social. « Il marque des lieux dans l’espace social et des moments de la vie collective », Sociologie du
sport. Jacques Defrance, la Découverte, 2000. 2
"Histoire du corps", G. Vigarello, Seuil 2006.
permettre de s'épanouir. Le sport n'a pas en lui-même de vertu éducative. Ce sont les conditions
mises en place, les situations pédagogiques, l'environnement physique et humain dans lequel le
pratiquant évolue qui contribuent à l'épanouissement de l'individu, au renforcement du lien social et
à son devenir en acte.
Le record, l’exploit, qui font la une de l’actualité, ne sont pas une des finalités de l’EP. La
performance pousse à l’excès et à la spécialisation du corps, alors que l’EP prône l’éducation du
corps dans sa totalité, la construction d’un corps responsable pour maintenant et pour plus tard. À
l’école, il ne s’agit pas de se calquer sur la pratique sportive fédérale, mais de transposer par un
processus didactique les pratiques de référence sociale (par exemple les sports codifiés que sont le
hand-ball, le football, la gymnastique) en APS, supports de l’apprentissage des conduites motrices
et des finalités éducatives assignées d’une part, par les Instructions Officielles et d’autre part,
cohérentes avec les besoins éducatifs des élèves.
Ainsi, l’EPS participe et contribue à l’apprentissage de la sécurité, de la santé, de la responsabilité,
de la solidarité et de l’autonomie de l’individu. Car, l’intérêt n’est-il pas à l’école, en EPS, de
favoriser l’accès à l’autonomie du futur adulte, de préparer l’élève à sa vie de demain, à la gestion
de sa vie physique. L’USEP est, entre autres, un des moyens qui favorise ces apprentissages.
Apprendre aux enfants à savoir s’arrêter, à doser, gérer et maîtriser leur effort, à mesurer leurs
possibilités, à juger et observer des attitudes et comportements moteurs, à découvrir et expérimenter
de nouveaux modes de relations diverses et variées à leur environnement est important. Combien de
noyades, d’accidents de montagne, d’infarctus ont-ils lieu chaque année dans le sport ? Ce manque
de prise de précautions, cette absence de sécurité, de surveillance sont-ils dus à une EP insuffisante
?
L’école a pour mission de construire un individu capable de s’intégrer socialement, tant
professionnellement que dans le domaine des loisirs. Le rôle de l’enseignant d’EP est bien d’aider
les individus à se construire comme des sujets libres, capables de gouverner leur conduite, de
s’ouvrir de façon réfléchie au monde du sport en regardant plus loin que la seule performance3
. Les
interactions vécues dans le champ des APS contribuent à la socialisation de l’individu notamment
par un apprentissage de savoirs communs tout en favorisant le développement de la personnalité
permettant à l’individu de se libérer de toute emprise collective afin d’accéder à l’universalité de la
condition humaine.
Ce qui semble le plus important en EP, et ce, quelles que soient les préconisations de l’Institution,
c'est de permettre aux élèves de transférer, réinvestir, mettre à profit et reprendre ce qui a été appris
lors de la pratique des activités physiques (comportements, attitudes, règles, connaissances
informationnelles et procédurales…) et de les inciter à réutiliser dans leurs contextes quotidiens, les
compétences acquises. Cette démarche conduit l’enfant à l’autonomie. Sans cela, nous proposons
des pratiques sportives, plus ou moins formalisées, qui risquent de se refermer sur elles-mêmes et
de se transformer en activités « occupationnelles4
». Cette dérive se profile déjà dans les activités
sportives proposées les samedis matins, lors de l’accompagnement éducatif, de la pause
méridienne, lors des activités périscolaires, etc…
Dans ce cadre, le sport scolaire et notamment l’USEP a un rôle fondamental à jouer en favorisant le
transfert des compétences acquises lors des séances d’EPS vers d’autres disciplines d’enseignement
et/ou à l’extérieur de l’école. Sur la base du volontariat, la pratique associative du sport scolaire
devient une réplique de la vie en valorisant l’autonomie par une implication de l’individu dans
diverses démarches structurelles et fonctionnelles. En programmant, par exemple, des
manifestations sportives en fin de cycle d’apprentissage d’EP, le sport scolaire permet à l’enfant de
3
« Quelle place pour la performance ? », A. Pouilly. Revue EPS 1 n° 129, oct 2006 4
« Du sport à l'intégration », Paul Irlinger, INSEP.
réinvestir, dans le cadre de la rencontre, les apprentissages moteurs vécus au travers des cycles
d’apprentissage. En proposant une variété d’activités physiques notamment de pleine nature
(APPN), l’USEP incite l’individu à imaginer, créer d’autres modes de relations avec son
environnement physique et culturel, et lui permet, à travers divers travaux pluridisciplinaires
(l’impératif de reliance5
), de se confronter à la diversité et la complexité du monde.
Nous devons alors insister sur la distinction Education par le Sport et Education Physique par les
APS. De nombreuses recherches scientifiques montrent que le sport conduit à reproduire des
comportements d’intimidation, de brutalité, de contournements et d’interdits (Et si le sport
favorisait la délinquance ?6
) Il nous faut distinguer les « pratiques sportives » des « APS pour
tous ». Inscrites de plus en plus souvent comme remèdes aux problèmes d’incivilités, de violence ou
encore comme vecteurs d’éducation, d’intégration voire d’insertion, les « pratiques sportives » se
résument, à nos yeux, essentiellement à un saupoudrage d’activités de consommation. Au contraire,
les « APS pour tous », de par l’aménagement des situations pédagogiques et l’encadrement qu’elles
proposent, se positionnent résolument sur des enjeux éducatifs de fond. Et c’est, dispositif trop
souvent oublié dans les actions d’éducation par le sport, en mesurant, en évaluant l’impact de la
« pratique sportive » et des « APS pour tous » sur le développement des compétences socio-
éducatives que nous pourrons montrer que les « APS pour tous » permettent plus facilement
d’atteindre des objectifs éducatifs que les « pratiques sportives ».
Nous sommes conscients que les « APS pour tous » sont des vecteurs incontournables pour d’une
part, améliorer les capacités de développement, de prévention et d’entretien de la vie physique de
l’individu et d’autre part, favoriser son intégration sociale. La logique de la représentation issue du
monde sportif et utilisée d’une manière quelquefois outrancière lors des apprentissages ne
correspond pas à une logique socio-éducative. Au contraire, elle contribue à la discrimination par
l’esprit de compétition, par la robotisation de l’athlète face à l’épreuve, toujours plus loin, plus haut,
plus fort, logique « entrepreneuriale » de rendement, de performance et de profit qui engage le
pratiquant jusqu’au bout et même au-delà. Se polariser sur les performances engendre une
confusion entre sport et éducation physique. La compétition génère des mécanismes d’exclusion et
d’affrontements inconcevables dans la construction de la personnalité d’un futur adulte lucide,
cultivé et autonome.
Se pose alors le problème de la place de la compétition lors des rencontres sportives usépiennes. Il
est précisé dans les programmes de l’EPS à l’école primaire7
que l’une des compétences à acquérir
est «réaliser une performance mesurée». Les activités liées à l’acquisition de cette compétence
doivent être sources d’activation motrice, de motivation et facteur d’apprentissage. Il serait donc
nécessaire de maintenir de subtiles doses de performance et d’encourager une logique sportive tout
en lui associant des objectifs socio-éducatifs qui dépassent largement l’objectif de performance.
Alors que, dans la vie sociale, la transmission des savoirs s’effectue de manière aléatoire à partir des
rencontres que l’on effectue au hasard des circonstances et, de ce fait, ne garantit pas que chacun
soit bien confronté à un ensemble organisé de connaissances et puisse bénéficier des méthodes
nécessaires pour y accéder ; au contraire, lors des rencontres sportives organisées par le sport
scolaire, institution éducative complémentaire de l’EP, chacun peut bénéficier d’une attention
éducative favorable articulée autour de l’histoire singulière de chacun et de la culture. Et, nous
affirmons que c’est en véritable chef d’orchestre des organisations sportives et des situations
pédagogiques, que les intervenants des APS sont les garants de la transmission de valeurs civiques
et morales des APS et les seuls à inciter les élèves à transférer ces valeurs de la pratique sportive
vers le monde civil.
5
« Les 7 savoirs pour une éducation du futur », E. Morin., 2000. 6
« Faut-il encore croire à l’éducation par les sports ? », L. Bigot, La Gazette des Communes, mai 2007. 7
BO HS n°3 du 19 juin 2008.
La pérennité de l’USEP, lieu d’échanges et de rencontres, est nécessaire pour le renforcement du
lien et de la mixité sociale. L’USEP doit poursuivre sa démarche de projets d’actions aux objectifs
sociaux variés, comme la promotion des APPN, tout en valorisant les actions éducatives et
culturelles orientées vers le développement durable par exemple. Nous pensons que les rencontres
sportives USEP sont un joyau éducatif lorsqu’elles ne s’orientent pas essentiellement sur la
production de performances.
De toute évidence, ces propos prônent une démarche socio-éducative par les APS pour tous. Cette
démarche ne peut d’ailleurs s’organiser sans un accord sur des objectifs lisibles et cohérents pour
l’ensemble des différents acteurs éducatifs : parents, intervenants, institutions éducatives,
collectivités locales et territoriales, associations qui entourent l’enfant-apprenant. Tous ces
partenaires doivent être fidèles à l’impératif devoir de transmission (l’humanité est un perpétuel
recommencement), tout en permettant à l’individu de s’approprier par lui-même, dans une démarche
dont il est acteur (donner du sens à ce que je fais8
), les connaissances nécessaires à la vie en
société, un « devenir en acte ».
Nous rejoignons ainsi les travaux d’ Alain Loret9
sur l’inadaptation aujourd’hui du service public et
des politiques sportives françaises à une double évolution : d’une part, l’évolution de la demande
sociale en matière de sport et d’autre part, l’évolution de l’économie d’un sport mondialisé. Il
préconise « la disparition du Secrétariat d’Etat aux sports pour un Secrétariat d’Etat des activités
physiques », les « APS pour tous » et milite avec Patrick Bayeux entre autre pour l’organisation
d’un véritable Grenelle du Sport....